Tu n’as pas bougé. Tu as donné ton accord, alors tu te contentes de le laisser faire, tu le laisses passer dans ton dos, tu ne te retournes même pas. A croire que toute ta méfiance s’est envolée … et dire que tu le laisses te toucher, et rester proche de toi alors que tu es complètement nue. Un exploit, n’est-ce pas ?

Il commence par tes cheveux, tu sens qu’il les attrape, qu’il frotte les pointes et les longueurs, tu sens l’odeur de lavande douce qui se propage dans la pièce et tu fermes de nouveau les yeux, laissant échapper un « mh » en guise de réponse. Il ne te fait pas mal, bien au contraire, en réalité. Il termine en massant les racines de tes cheveux sur ton crâne et sous sa demande, tu penches la tête en arrière, toujours sans un mot. Il rince, et puis, finalement, il se met à frotter ton dos délicatement, avec une éponge … et une nouvelle fois, tu frisonnes. C’est étrangement agréable. Tu ne peux pas le nier. Tu laisses d’ailleurs échapper un soupire d’aise. « C’est à vous que je le dois… » Tu n’aurais sans doute pas survécu bien longtemps sans son intervention.

Il essaie de faire la discussion. C’est vrai que tu es restée mystérieuse, que tu n’as dis que ton prénom, et que tu n’as laissé échapper que quelques mots sous forme d’énigmes étranges. Il a deviné d’où tu viens … Normal, n’est-ce pas ? On voit bien que tu n’es pas d’ici vu tes manières. « Je sais bien … si vous ne m’aviez pas récupéré … » Tu ne diras pas la suite. Tu supposes qu’il comprendra. « On ne m'a pas élevée pour être dehors. Je ne sais pas faire grand-chose, malheureusement. Et je suis bien incapable de me défendre par moi-même. » Tu avais pu te rendre compte à quel point c’était difficile de survivre, de vivre même hors de Sina, au milieu des gens simples. Tu n’avais rien. Pas de maisons, pas d’amis, plus un seul vêtement à toi, tu avais fui tout ce qui te composais et tout ce qui t’appartenais. « Mais il est hors de question que j’y retourne. Jamais. »

Ta … détermination. Peut-être qu’il s’agissait oui. Déterminée à lui échapper, déterminée à changer de vie. Déterminée à récupérer un semblant de liberté. En réalité, tu ne voulais pas grand-chose, juste le droit de mener ta vie comme tu l’entendais. Est-ce que c’était trop demandé à ce monde ? Tu en avais parfois l’impression. Un soupire s’échappe des tes lèvres, tu sens l’eau tiède couler dans ton dos, et puis il s’adresse de nouveau à toi et … tu as la vague impression que quelque chose à subitement changer dans sa façon de s’adresser à toi. Il se lève, abandonne l’éponge dans l’eau et revient dans ton champ de vision. Tu lèves la tête pour l’observer, constatant que son regard à lui aussi changé. Ses mots suivants sont encore plus rudes. Tu frissonnes, incrédule. Est-ce que tu as dis quelque chose de mal ? Tu n’en n’as pourtant pas l’impression. Tu te repasses même tes paroles une à une, sans grand succès.

Il détourne les yeux et tu en profites pour attrape la serviette qui traîne sur le rebord de la baignoire, celle utilisée pour ton visage quelques minutes avant. Tu te lèves rapidement, plaçant la serviette devant toi pour cacher ton corps. « Aurais-je été offensante ? » Tu bouges, doucement, tu sors de la baignoire, tremblant légèrement sous la différence de température entre l’eau et l’extérieur. Tu fais quelques pas, tu avises les vêtements d’un coup d’œil. « Mes mots étaient-ils … déplacés ? Ou alors est-ce moi qui abuse simplement bien trop de votre patience et de votre gentillesse ? » Tu ne savais pas. Tu ne t’étais tout simplement rendu compte de rien. « Si tel est le cas, veuillez m’excuser. »

Et tu l’écoutes avec attention. Tu fronces les sourcils, très légèrement, au départ, tu ne comprends même pas où il veut en venir. Du bétail ? Quand avais-tu sous-entendu une telle chose … ? Il repose les yeux sur toi, et tu oublies totalement de ressentir le moindre gène quant à ta tenue, encore, trop légère. Tu ne dis rien pour défendre, dans un premier temps, tu te contentes d’écouter, d’enregistrer et surtout, en fait, de décoder ce que tu entends de sa bouche. Il essaie de te faire comprendre certaines choses, et en réalité … il a raison de le faire. Parce que si tu ne considères personne comme étant inférieur à toi, tu sais que tes manières peuvent être offensantes, tu sais que ton attitude peut être mal prise. C’est comme ça, tu sais, on n’efface pas vingt ans d’éducations, d’enseignements. On ne t’a jamais parlé de ce qui se trouvait ici, hors de Sina. Tu connais les bases. Mais ton père a toujours trouvé cette partie du territoire humain très inintéressante, et ce sont là ses mots. Maintenant … tu comprends pourquoi. Et pourtant, tu ne le rejoins en aucun cas, et tu n’es pas d’accord. Si ce monde bien différent t’avait pas paru bien rude, tu savais maintenant qu’il renfermait de bonnes personnes, comme lui.

Il s’est approché de toi. Planté devant toi, il attrape une mèche de tes cheveux humides tandis que tu restes plantée, sans un mot, à le fixer comme une idiote. Cependant, la dernière partie de son discours te touches davantage, et c’est ce qui cause ce manque de réaction, lorsqu’il finit par lâcher tes cheveux et sortir de la pièce. Ce n’est que lorsqu’il a disparu complètement que tu réagis. Tu t’avances vers la porte, son prénom s’échappe de tes lèvres mais tu t’arrêtes lorsque tu te rends compte que tu n’as pas pris le temps de t’habiller. Tu attrapes le premier vêtement, un haut de pyjama – sans doute – relativement large, tu l’enfiles rapidement et lorsque tu te rends compte qu’il te couvre suffisamment, tu finis par quitter la pièce rapidement pour le rejoindre. « Je n’ai pas ce genre de pensées. » Tu n’en avais aucune en vérité. Ce monde, ce tout nouveau monde était encore à découvrir. Tu avais bien compris qu’il ne serait pas simple à apprivoiser, qu’il y aurait du bon, du mauvais. Seulement, bizarrement, tu te sentais prête à essayer et même à y arriver. « Ce sont les hommes que j’ai côtoyés toute ma vie qui sont … bestiaux. » Tu fais quelques pas, tu viens t’asseoir tout près de la cheminée pour te réchauffer un peu. Tu t’installes à même le sol, mais tu t’y sens bien. « Vous avez été plus humain en ma présence que tous ceux qui ont un jour poser le regard sur moi. » Ton regard se perd au milieu des flammes. Est-ce que certains ici, dans ce coin de ce qui représentait le monde, on considérait les gens de Sina comme des gens délicats ? C’était risible. « Pardonnez mon éducation, elle est bonne a jeter. »

Tu te sens bien mieux maintenant. Tu pourrais presque affirmer avoir retrouver pleine possession de tes moyens. Tu parais sans doute bien moins misérable, aussi. Même si tu as les cheveux en vrac, même si tu ne portes que le haut de ce pyjama. Même si tu es assise par terre. Ça va mieux. Tu ne trembles plus et tes pensées sont claires. Ta voix distincte. L’odeur de la nourriture réveille ton estomac qui se met à grogner tandis que ton regard lui est encore perdu dans la contemplation de ses flammes qui semblent te fasciner. « Ce n’est pas tant ce que je sais qui me dérange mais la manière dont on m’a appris à me comporter. » Et heureusement, tu n’avais jamais su être parfaite à ce niveau-là, sinon, tu serais doute particulièrement détestable.

Le ton de sa voix a encore changé. Il semble de nouveau bien plus calme et il en vient même à s’excuser après de toi. « Il n’y a pas de mal. » Non, tu ne lui en veux pas. Tu le comprends, du moins tu essaies de te mettre à sa place. Il avait eu parfaitement raison de te reprendre, et puis, tu voulais apprendre, apprendre de lui. Maintenant que tu te rendais compte des choses avec bien plus de clarté, Ian t’apparaissait comme tout à fait fascinant. D’ailleurs, il vient te déposer une assiette que tu déposes par terre, devant toi, et puis il vient s’installer juste à côté de toi pour manger et tu ne peux retenir un sourire. On est déjà bien loin des grandes tables bien propres, bien arrangées et surtout, bien trop garnies. On est bien loin des repas bien trop imposants … et pourtant cette assiette que tu as sous le nez te fais terriblement envie, si bien que tu ne tardes pas avant d’attaquer, tu oublies les bonnes manières, tu viens avaler une gorgée de soupe après avoir souffler dessus. « Alors agissez comme vous le feriez avec n’importe quelle autre femme. » Léger sourire. Tu détournes le regard, tu fixes ton assiette, puis tu le balades dans la pièce, autour de toi tout en continuant de manger parce que, ne l’oublions pas, tu as faim.

« Occasionnellement, oui. » Pas un pilier de bar, non, forcément, mais l’alcool faisait partie des choses que l’on t’avait apprise à apprécier. Le vin notamment avait sa place à chacun des repas. « Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir soldat, cela m’intrigue. Vous risquez votre vie hors de ces murs … n’avez-vous pas peur de mourir, du jour au lendemain, comme tant d’autres avant vous ? » Ce serait dommage non, de priver le monde d’une telle personne … ? Du moins c’est ta pensée du moment, avant que tu ne te redresses, que tu ne te remettes à l’observer, et que tu viennes finalement prendre l’une de ses mains dans la tienne. Tu te penches en avant. Tu avais senti ses doigts t’effleurer la peau plus tôt, la sensation avait été bien différente de tout ce que tu avais pu ressentir jusqu’à présent alors, tu observes cette main, tu l’ouvres, passant tes doigts doucement, à l’intérieur de celle-ci. Rugueuse. Des mains qui ne sont pas neuves. Sa peau n’est pas lisse, et pourtant, son contact n’est en rien désagréable, bien au contraire. Mais tu relâches, au bout d’un moment, te rendant compte que tu es peut-être trop … entreprenante ? Tactile ? « Veuillez excuser ma curiosité déplacée … »

Mh. Tu l’écoutes avec une grande attention. Vachement attentive, maintenant tu vas bien, tu te mets à réfléchir un instant lorsqu’il parle de la manière il en aurait traité une autre. Il aurait agi de la même manière, ce qui ne te surprends pas. Cependant, il ajoute quand même quelques nuances. « Alors … qu’est-ce qui vous pousse à le faire pour moi ? » Tu devenais curieuse, bien évidemment. Chacune de ses réponses venait déclencher d’autres questions. A ce train-là, tu n’en n’avais pas fini.

Tu prends le verre de vin entre tes doigts fins avant de le porter à tes lèvres pour en avaler une gorgée. Tu l’observes toujours, forcément, assez pour remarquer à nouveau cette manière si particulière qu’il a de tenir son verre, ou sa tasse tout à l’heure. Pas une remarque, tu gardes le silence tandis qu’il répond à tes questions. « Je vois … c’est dans votre sang, alors. » Un peu comme c’était le tien d’être belle et de se taire, d’obéir, de paraître, uniquement paraître, sans forcément être. « Votre grand-mère à l’air d’être une personne sage … » Ce n’est surement pas ton père qui t’aurait poussé à aller dans ce sens, ni ta mère d’ailleurs, elle qui se contentait d’être là pour appuyer chacune de ses décisions, aussi stupides et égoïstes soient-elle. Ce que tu pouvais les haïr à présent, ce que tu pouvais tout simplement avoir envie de leur faire mal, autant qu’on t’avait fait mal.

« Vous êtes … courageux. » Ou alors complètement fou. Voir un mélange des deux. D’ailleurs, un léger rire s’échappe de tes lèvres lorsqu’il avance être bien trop fort pour rire. « C’est bon à savoir ça… » Tu avales une autre gorgée de vin avant de reposer le verre près de ton assiette pour manger un peu des pommes de terre. « Je suppose que oui … » Sinon, tu ne te serais probablement pas enfuie, et tu ne ressentirais surtout pas cette peur dans ta poitrine, celle d’être rattrapée par les Brigades Spéciales et d’être brutalement renvoyée là où tu ne voulais clairement plus être. « Je crois que j’ai surtout peur de mourir en ayant … rien accompli, rien fait de ma vie. » Tu bouges légèrement, tu ramènes tes jambes à toi, pensive. « Pour l’instant, j’ai plus l’impression d’avoir gaspiller vingt ans de vie pour rien … quoi que ça m’a finalement menée jusqu’ici. Peut-être que c’était ça, le but de tout ça … qui sait ? »

Tu jalouses un peu, n’est-ce pas ? Lorsqu’il parle de sa grand-mère, visiblement si chère à son cœur. Tu ne peux parler de cette manière d’aucun membre de ta famille. Tu ne peux être fière d’être liée à aucun d’entre eux parce que tu t’es rendue compte, il y a peu, qu’ils n’avaient jamais eu d’affection véritable pour toi. Ton père aurait voulu un fils pour reprendre l’affaire familiale, c’est toi qui es venue à la place et après toi, plus jamais ta mère n’a réussi à mener une grossesse à terme. A croire que tu l’avais maudite de par ta naissance et que tes parents avaient trouver le moyen de te le faire payer, au final. « Je vous envie … ma famille n’en est pas réellement une. » Dans une famille on s’aime, on se respecte, on se protège. Personne ne fait ça, chez toi, tu n’es même pas certaine que ta mère ait réussi à aimer ton père un jour, ou si elle avait vécu comme pensé que tu allais vivre en te forçant à épouser ce type infecte.

Un soupire, à nouveau. Tu te mets à jouer avec les pointes de tes cheveux, perdue dans tes pensées durant un instant. « C’est ce que j’ai toujours voulu … Décider. Contrôler ma vie et vivre comme je l’entendais. » C’est pour cette raison précise que tu avais fuis la richesse malsaine qui se trouvait finalement au cœur même de ta vie. « Au final, je ne sais même pas comment on fait … on a toujours décidé de tout à ma place, je ne sais même pas si je sais prendre une décision par moi-même. Comme quoi faire, et où aller, pour commencer. » Vachement triste, hein. Et un peu pitoyable aussi. « A dire vrai, j’ai l’impression de ne rien connaître de la vie, le bonheur, la joie, le plaisir … c’est comme si jusqu’ici, tout ce que j’avais reçu était factice. » Tu te redresses légèrement. Tu lui souris, mais tristement. « Vous sauriez … m’apprendre toutes ces choses, Ian ? »

Et tu demandes de telles choses à … un parfait inconnu. C’est dire, à quel point tu as besoin d’être entourée, n’est-ce pas ? A quel point, tu as en toi, ce besoin de sentir, de ressentir, quitte à prendre des risques. Deviendrais-tu un peu joueuse ? On dirait bien que tu t’es décidé à parier sur Ian. Pour tout un tas de raisons.

Il a choisi d’être honnête, et tu n’attends que ça. Qu’il te dise le fond de ta pensée, qu’il parle sans filtre, qu’il t’ouvre les yeux, qu’il commence à t’apprendre, ce que c’est que de vivre réellement. Et franchement, alors qu’il se met à te parler, tu ne regrettes pas une seconde d’avoir choisi de l’écouter. Au fond, tu as comme l’impression qu’il a raison. Tout n’a pas toujours été si sombre, dans ta vie. Si la colère à prit le dessus, tu sais que tu as aimé tes parents, tu sais que tu as su rire, sourire. Tout autant que tu as su pleurer, parfois pleurer de joie. Il t’aidera. Et tu te sens aussi soulagée que reconnaissante. Tu as le sentiment particulièrement étrange et somme toute puissant, en toi, qui te fais dire que tu viens de faire un grand pas en avant. Et tu es touchée là, au plus profond de ce cœur qui bat plus fort que tu n’aurais pu l’imaginer un jour. Pas de pitié. Non. Juste l’envie … l’envie de te découvrir, toi ? Pourquoi ? Tu n’es qu’une pauvre fille perdue, loin de chez elle. Une jolie coquille que l’on a remplie de choses bien souvent erronées. « Il y a quelque chose en vous … quelque chose de fort et de spécial. » Tu ne saurais dire ce que c’est exactement. C’est là. Tu l’as sentie, au moment même où il t’a serré contre lui. « Vous êtes si différent. » Ta main se lève, tes doigts effleurent sa joue, délicatement. Le contact de ta peau avec la sienne est si étrange, si particulier. Ça crépite. Ça picote tes bouts de doigts et ça te retourne l’estomac. « Mais qui êtes-vous … » Ce n’est même pas une question, ou alors si … une question bien étrange d’ailleurs.

Tu es obligée. Tu en as presque … besoin, de le toucher. Juste un contact, léger, pour ressentir ce que tu as ressenti jusqu’ici, à chaque fois son souffle est venu caresser ta peau, à chaque fois que ses doigts ont effleurer ton dos. Et ce contact, il l’intensifie. Il appuie sa joue contre la paume de main, tout à coup, tu as l’impression que l’ambiance à changer, radicalement. Sa voix n’est plus qu’un murmure que tu n’as aucun mal à entendre parce qu’il est si proche de toi. Et puis … cette proposition. Elle te surprend, évidemment, forcément, il ne te connait et tu ne le connais pas non plus. D’ailleurs, il semble s’en rendre compte puisqu’il ajoute quelques mots à la suite. Des mots que tu entends à peine.

Tu bouges, tu te redresses pour te mettre à genoux, devant lui et tu reviens là, contre lui, tes bras repassent autour de son cou. Tu n’as que ça en tête, tu veux juste … le sentir contre toi, respirer son odeur, ressentir la chaleur de son corps se propager dans le tien. « D’accord. » Tu n’as aucune question. Pas de pourquoi, pas de comment, rien. Tu acceptes, c’est tout. Sans doute sur un coup de tête, comme sa proposition peut-être. Après tout … tu sens bien, tout au fond de toi que tu peux lui faire confiance, c’est comme une évidence étrange, c’est inscrit, gravé.

Tu cesses de bouger. Tes bras enroulés autour de son cou, tu te contentes de le serrer contre toi, de rester collée à lui. Bien sûr, bien vite, tu sens ses mains qui remontent tout doucement, dans ton dos, il te tire à lui et tu te retrouves assise, à califourchon sur lui. Plus proche. Toujours plus proche. Sa tête dans ton cou, tu sens de nouveau son souffle sur ta peau. Jamais tu n’as ressenti tout ce que tu peux ressentir en ce moment … tu ne saurais même pas mettre de mots là-dessus tant tout est nouveau. Inédit. Tu profites de cette étreinte, de cette chaleur unique, de ce cocon. Tu te sens en sécurité, c’est comme si plus rien ne pouvait t’atteindre, rien ni personne.

Les minutes passent. Et puis … tu bouges, très légèrement. Tu relâches très légèrement ton étreinte pour reculer. Tes mains glissent dans son cou et viennent s’arrêter sur chacune de ses joues. Tu l’observes, tu captures son regard. Tu ne sais pas ce que tu ressens. Tu ne sais pas ce qu’il a bien pu te faire, mais tu as l’impression d’être devenue complètement folle. Folle au point de venir de toi-même embrasser ses lèvres. Un simple baiser tout d’abord, puis un second, et encore un autre que tu prolonges davantage. C’est la première fois pour toi … oh, on est déjà venu embrasser tes lèvres, oui, mais c’est la première que tu offres un baiser, que tu décides de réellement embrasser quelqu’un, c’est aussi la première fois que tu en as autant envie.

Tu ne sais pas ce qui te prends, ce qui t’arrive. Il agit sur toi comme un aimant et ça, ça ne t’est jamais arrivé. Tu ne pensais même pas ça possible, en réalité. Tu avais l’impression d’avoir complètement perdu l’esprit et peut-être que d’une certaine manière, c’était un peu le cas. Peut-être que c’était lui, qui te faisais complètement perdre pied, qui te déconnectais totalement de la réalité. Celle que tu fuyais.

Il te sert tout à coup plus fort, il vient lui-même chercher tes lèvres et ce baiser c’est … ça ne ressemble à rien de ce que tu as connu. Personne ne t’a jamais embrassée de cette façon, personne ne t’a jamais touché comme il te toucher non plus d’ailleurs, tout comme personne n’a jamais posé le même regard que lui, non, tu n’as jamais lu dans les yeux d’un autre tout ce que tu peux lire dans ses iris bleutées. Tu le lui rends ce baiser, et tu en sors essoufflée, lorsqu’il s’éloigne finalement un peu de toi. Juste un peu. Il est encore à quelques millimètres à peine. Tu pourrais y revenir … comme tu as envie d’y revenir. Comme tu aimerais qu’il continue de t’embrasser comme ça. Pourtant, par tu ne sais quel miracle, tu réussis à te convaincre d’être raisonnable. Tu es mariée, Jillianne et même si tu n’as aucun bon sentiment pour ton mari, par principe, tu te dois de te calmer, de t’arrêter là. Tu peine à croire que tu sois obligée de refouler cette envie que tu ressens au creux de ton ventre, pourtant, tu t’éloignes. Tu te laisses glisser au sol. Si tu étais restée sur lui, tu n’aurais jamais pu t’arrêter. Tu souffles. Tu essaies de reprendre ton souffle, de calmer les battements de ton cœur. « Je suis désolée … je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris … » Si tu le sais. Du moins, en partie. Mais c’était ton excuse. Une excuse un peu bidon. Même celle du vin et de la fatigue auraient été plus convaincantes. Tu as conservé un contact. Tu n’as pas pu te résoudre à te détacher de lui totalement, non, ta jambe repose encore sur la sienne. Avoue le … Jill. Avoue que tu as eu peur, peur de la brûlure quand tu as senti ton corps entier s’embraser au beau milieu de cette étreinte.

Tu te sens … Non. En fait. Tu n’en sais rien. Absolument rien et c’est bien ça, tu vois, le plus perturbant à ce moment-là. Tu as probablement cru aux contes pour petite fille, pendant un moment, il y a bien des années, tu as probablement un jour imaginer que le « coup de foudre » était quelque chose de réel mais il y a bien longtemps que tu as perdu ces illusions. Alors, tu es perdue. Tu ne te comprends pas toi-même si bien que tu finis par mettre ton comportement sur le compte de la fatigue, de tes mésaventures, le contrecoup de tout ce qui vient de t’arriver … C’est plus facile comme ça, n’est-ce pas ? C’est ce qui parait le plus probable, le plus simple, le plus cohérent, aussi. Voilà que tu te mets à supposer que tu as été trop démonstrative en voulant simplement être reconnaissante, tu as simplement dû ressentir le besoin d’être rassurée, oui. C’est ça. C’est tout ça. Cane peut être que ça, n’est-ce pas, Jillianne … ?

Oui. Alors c’est mieux comme ça. Et même si cette envie, ce besoin dévorant de proximité est toujours là, bien présent, même s’il continue de te retourner l’estomac et bien, tu restes où tu es. On t’a appris à faire preuve de retenue. A ne rien montrer de tes pensées. A ne rien faire malgré tes envies personnelles. Alors tu appliques. Bon petit chien.

Tu sers les poings en entendant ses paroles. Tu ne comprends même pas au fond. Tu ne vois que la surface de ses mots parce que tu ne creuses pas, tu ne creuseras pas, tu as bien trop peur, au fond, de creuser. La suite en revanche te fait détourner les yeux, tu n’oses plus le regarder, encore moins droit dans les yeux. Tu te si gênée, mon dieu. Pour quel genre de femme est-ce que tu passes, maintenant ? Toi qui craignais qu’il ne soit mauvais, qu’il ne finisse par te sauter dessus, c’était finalement toi qui l’avais fait pour finalement reculer et fuir comme une biche effarouchée. Quelle honte … « D-Dé-- … » Non. Pas d’excuses. Tu te souviens ? Il n’en veut pas.

Tu oses un nouveau regard dans sa direction, tu profites, pendant qu’il regarde ailleurs que dans ta direction, tu l’observes sans avoir à craindre ses yeux et ce que tu pourrais éventuellement y lire. Et puis, dès qu’il se redresse, tu te remets à observer la cheminée. « Pourquoi pas … » Au fond, aller te reposer, c’est pas une mauvaise idée, hein. Non. En fait, c’est probablement ce que tu as de mieux à faire là. Avant de faire ou de dire une nouvelle bêtise. Tu enchaînes faut dire, depuis qu’il t’a ramassée dans ta flaque de boue. « Peut-être que dormir me remettra les idées en place. Je dois en avoir besoin. »

Il bouge, il se lève et tu perds ce contact que tu avais fais en sorte de garder. Cette fois, ce moment s’est bel et bien envolé. Et tu le regrettes déjà. Tu le regrettes mais il est trop tard. Rien ne sert de tenter de revenir en arrière, tu ferais pire que mieux. Du coup, tu le laisses prendre ta main, te guider dans l’escalier de la maison jusqu’à cette chambre dans laquelle tu fais quelques pas seulement. Tu observes la pièce, quelques instants, en silence, tu te mets à fixer ce lit, au milieu de la pièce dans lequel tu ressens l’envie de te laisser tomber, en vérité. « Merci beaucoup… » C’est pas si simple, de faire comme chez toi. Surtout quand tu n’as jamais véritablement eu de chez toi, ou alors si peu.

Tu t’avances, tu viens t’asseoir sur le bord du lit, tout en fixant le plancher. Tu te dis que vaut mieux fuir dans cette situation, que c’est mieux dans l’immédiat, du moins. Tu as besoin de sommeil, Jill. D’une nuit au calme, de repos, pour y voir plus clair. C’est nécessaire. « Je vais dormir … si ça ne vous dérange pas. » Tu songes à lui demander de rester avec toi, pour ne pas être seule dans cette pièce, mais tu n’en fais rien. Tu t’étires légèrement, avant de te laisser tomber en arrière pour t’allonger en travers du lit, en soupirant.