Comme c'était souvent le cas, je profitais de mes moments de "repos" pour continuer de travailler, profitant du fait qu'il n'y avait personne pour me forcer à aller m'asseoir. Le fait est que je prenais mon rôle extrêmement au sérieux, bien trop consciente du poids des responsabilités de mon métier et des difficultés à exercer celui-ci en dehors des murs. Ce faisant, au moins la moitié de mon boulot devait être fait en amont. Plutôt que de me préparer à traiter des blessures qui étaient souvent fatales, quand on arrivait à ramener les soldats au bercail, j'estimais qu'il était nécessaire de garder les troupes en forme pour les aider à être plus alertes et aptes à réagir en situation de crise. Valait mieux prévenir que guérir. J'avais donc pris l'habitude d'accepter les consultations à tout heure du jour ou de la nuit pour traiter le plus rapidement possible le moindre symptôme inquiétant. Puis, lorsque je n'étais pas occupée avec un soldat, je commençais à fouiner dans le quartier général. Je faisais l'inventaire du matériel médical, m'assurant que tout soit toujours en bon état et prêt à être utilisé en situation concrète. Puis, si j'avais le temps, j'aimais aussi jeter un oeil du côté de la nourriture pour m'assurer que rien ne soit périmé. Manger sainement était important pour développer une santé de fer.

J'étais donc en train de regarder ce qu'il nous restait du côté de certaines plantes que j'utilisais généralement dans la préparation de cataplasmes pour traiter différents maux, qu'il s'agisse de coupures, de brûlures, de piqûres d'insectes ou de douleurs articulaires ou musculaires. Concentrée sur ma tâche, c'est sur le tard que j'entendis un bruit derrière moi, signalant que je n'étais plus seule dans la pièce. Je sursautai avant de me retourner vivement, poussant ensuite un soupir de soulagement en voyant qu'il n'y avait pas de raisons de s'inquiéter.

« Vous m'avez fait peur. Comment puis-je vous aider ? C'est pour une consultation médicale ? »

Je n'étais pas particulièrement surprise qu'il ne me reconnaisse pas. Un peu déçue peut-être, mais ce n'était pas non plus une mauvaise chose. Ne pas être familier avec les médecins signifiait qu'il était en bonne santé. Ou qu'il était trop têtu pour venir consulter lorsqu'il avait pourtant une raison de le faire. Cette seconde option n'aurait pas été surprenante non plus, j'en avais vu plusieurs des soldats qui refusaient d'admettre qu'ils avaient besoin d'aide ou simplement faire comme si tout allait se régler tout seul. Toujours est-il que, dans l'immédiat, il attendait des réponses à ses questions.

« Je fais l'inventaire du matériel médical, caporal. J'ai terminé mes consultations du jour et il me semblait pertinent qu'un individu qualifié s'assure que tout soit en ordre. »

Avais-je donc répondu en lui faisant face, sur un ton respectueux. J'étais là pour faire mon boulot, espérant au passage qu'il ne remarquerait pas mon air fatigué. D'ailleurs, je réalisais un peu sur le tard que j'avais répondu sans pour autant me présenter ou même lui annoncer ce que je faisais au sein du bataillon. Ayant réalisé mon erreur, je m'empressai donc de me corriger en complétant ma réponse.

« Je suis médecin pour le bataillon, je m'appelle Hannah. Si vous avez un problème de santé, aussi innocent que ça ait l'air je suis disponible en tout temps. Mais peut-être puis-je vous aider avec autre chose ? »

Si je remarquai la façon dont il avait répété mon nom et mon grade, je ne m'en formalisai toutefois pas. Il était, après tout, plus gradé que moi. Je lui devais le respect et ne comptais donc pas m'insurger pour si peu. D'autant plus que j'étais à même de comprendre que mon zèle ne plaisait pas à tous. Tout cela mis ensemble, ma réponse se fit sobre et professionnelle.

« À votre service, caporal. »

Il me demanda d'abandonner ce que j'étais en train de faire, ayant visiblement besoin de mon expertise pour quelque chose de plus urgent. Évidemment, je ne pensai même pas à discuter, fin prête à rendre service et à accomplir ce qui était attendu de moi. J'acceptai donc le papier sans rouspéter non plus, mon regard parcourant d'abord les différents items avant de s'interrompre lorsque je remarquai quelque chose qui n'aurait pas du être là. Des taches de sang. Je relevai vers lui un air inquiet.

« Vous êtes blessé ? Donnez-moi votre main, je vais vous désinfecter et mettre un pansement.  Il ne faudrait pas laisser cela s'infecter. »

Et, cette fois, mon ton s'était fait plus ferme et plus décidé. Pour les affaires de santé, j'étais loin de plier aussi facilement que pour le reste.