C'est l'odeur de la pluie. Et sa lourdeur.
Tu ne sais plus depuis combien de temps les choses sont ainsi.
Depuis combien d'années cela dure à présent. Les rêves. Les cauchemars surtout. Les souvenirs avant tout. Des visages qui ne sont plus.
Effrayés.
Des gens qui hurlent. Des pleurs qui résonnent. Qui s'ancrent. Qui se bloquent. Ce sentiment vibre si fort derrière ces murs. Cette sensation angoissante de peur. Agonisante. Tu vois des visages si clairement, Max.
Les Abandonnés.
Ceux que tu ne pouvais sauver. Muée sur le dos de ton cheval, tu ne pouvais voir qu'une vague lueur. Une vague lueur de vie. Des mains tendues. Des implorations. Des plaintes. Des supplications.

C'est la dure réalité du bataillon. La dure vie d'une femme qui refuse de baisser les armes. De fermer les yeux et d'inspirer longuement.
Incapable.
Il pleut et à présent, elle se tient là. Cette jeune femme que tu refuses de voir. C'est toi. Si faiblarde alors que tu suffoques. Respire lourdement des regrets que tu ne sais gérer. Parce que vous ne pouvez rien y faire. Et tu ne peux mourir pour eux. Quand il est trop tard.
L'heure est passée.

C'est à l'abri des regards. Caché aux yeux du monde que tu te débats. À tenter vainement de rester ce mur implacable. Cette personne qui se doit de rester droite. Un seul sentiment sombre sur le terrain et c'est une fin. Une seule once de peur infiltrée trop loin et c'est la mort.
Mais tu es humaine.
Alors adossée contre ce mur. Dont seuls les pieds rencontrent la pluie, tu fixes le sol. Il tremble légèrement. D'une émotion de faiblesse de ta part. « Ça fait mal. » de vouloir être, mais de ne pas pouvoir.
De faillir.
Tous ceux qui sont morts à l'arrière. Lors de la dernière sortie... C'est en partie de ta faute. Une demi-seconde d'hésitation. Une seule demi-seconde et dix soldats en sont morts plus loin.

Et tu ne cesses de le voir.
De le revoir.
Derrière tes paupières closes.

J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...

Pando

Cette voix résonne.
Tonne à tes oreilles, tu sursautes et tu la reconnais. Presque immédiatement. Caporal Hodgen Kelsier. Tu te souviens de lui. De sa voix.
De sa prestance pesante.
Il se fait tard et tu étais presque certaine de ne croiser personne. Personne qui ne puisse te voir. Mais il faut croire que ce n'est pas la chance qui étouffe. Qui embrasse ta vie. Qui te serre dans ses bras. Il semblerait que ce soit plutôt une longue descente. Soupirante et ennuyante. Qui t'attend sagement pour t'étreindre.
Violemment.

Autre chose à faire ? Que de regarder la pluie ? Tu te demandes alors que tu cherches à inspirer convenablement. Existe-t-il autre chose qui ne soit pas vaine à faire ? Parce que la fin n'est jamais très loin.
Vous la connaissez bien.
Et ce pessimisme qui t'étrangle maintenant, te rend si laide. Si frêle. Qui pourtant te permet de remettre un masque sur les larmes échouées.
« Est-ce que c'est interdit, Caporal Hodgen ? Je ne crois pas en avoir été informée si c'est le cas. »
Il y a pourtant cet instinct de loyauté inconscient. Il te pousse à le saluer correctement malgré tout. À exposer ce regard sombre.
Voilé.
Celui-là même que tu voulais garder. Et une question te viens en le regardant à cet instant.

« Puis-je vous poser une question, Caporal ?... Est-ce que vous vous sentez coupable parfois ? »
Parfois oui.
Est-ce que tous ces gens aux allures si dures se mordent les doigts en silence. Tout comme toi maintenant. Est-ce que derrière vos regards fermés, il y a cette haine amère d'être inutile.

J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...

Pando

Il semble fort. D'un point de vue extérieur, il l'est. Parce qu'il se tient fièrement devant tes orbes fatigués. Sans faiblir, sans hésiter. Il répond d'une voix qui te semble ferme.
Et pourtant.
Tu ne peux t'empêcher d'y songer. De continuer d'y penser. De laisser le court de tes idées, défiler. Comment peuvent-ils vivre comme cela ? C'est impossible. Qu'ils ne puissent rien ressentir. Qu'ils puissent t'être toujours si implacable.
Imperméable.

« Est-ce que l'on fini tous par penser cela ?... » tu poses un regard sur cet homme. Un regard teinté d'autant de question que de désarroi. Tu te sens d'une humeur craintive.
Humaine.
Tu as peur de ce sentiment dévorant qui bouffe tes nuits. Qui t'empêche de dormir sur deux oreilles. Qui te coupe le souffle si brutalement.
« Parfois je me dis que les cadavres que je vois sur mon chemin... que les gens que je vois être dévorés... que les cris qui me supplient de revenir les chercher... c'est mon crime. » tu sens ta mâchoire se crisper alors que tu poses tes yeux sur la pluie qui ruisselle. « Il y a des plans mal menés, mais il y a aussi... beaucoup de soldats que j'ai tuée. »
La réalité.
Si dure et si cruelle. Vous ne pourrez jamais être des surhommes. Peu importe à quel point tu le souhaites, peu importe à quel point tu te l'imagines. Même lui, que tu vois si fort, n'en est pas un.

« Est-ce qu'elles finissent par disparaître ? Les voix. Les visages aussi... »
Tu te poses souvent la question. Et aujourd'hui, en cette nuit mouvementé qui s'annonce, tu oses la poser. Tu te permet de le lui demander.
À lui.
Les gens parlent et les soldats notamment. Tu sais ce qu'ils disent de lui. De sa froideur. De sa colère. Pour autant... tu n'hésites pas à lui poser la question. Peut être parce qu'au fond, tu le sens. Que lui aussi... Il porte un masque.
D'acier.
Mais surtout il te semble si gentil à l'heure actuelle. C'est pour cela que ta voix résonne si calmement. Pour cela que tu ne peux t'énerver de sa présence. C'est si perturbant.
« Je suis navrée, Caporal. Je ne vais pas vous retenir sous la pluie, mais je ne peux pas encore rentrer personnellement... Bonne nuit Caporal. » que tu marmonnes vaguement avant de le saluer. Tu ne ressens plus, la morsure du froid. Il n'y a que les pensées.
Sombres.

J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...

Pando

Discret.
Il l'est. Dans ses propos, dans sa manière d'être. Vous vous ressemblez sûrement un peu. Et en temps normal, vous n'auriez sans doute pas grand chose à vous dire. Tu parlerais de n'importe quoi d'un ton léger avec un sourire avant de partir.
L'air de rien.
Mais en cette soirée qui décline pour s'assombrir lentement, tu n'en as pas le cœur. Tu n'as pas cœur à porter ce masque avec aisance. « Cette guerre est inégale. Tâchez de vous en rappeler. » oui tu ne le sais que trop bien.

Rien ne s'efface.
Jamais.
On ne peut qu'apprendre à vivre avec finalement. Tu le savais bien, mais l'entendre dire est toujours un moment, une étape difficile. On a beau le savoir, il est si aisé de se voiler la face avec ardeur. Tu ne dis rien, probablement parce qu'il n'y a rien à dire. Tu l'observes juste. Il allait s'énerver, tu le croyais en le voyant frapper cette flaque, mais non.
Il parle.
Simplement avant de finalement t'arracher un sourire bref. Un léger son désappointé également, mais amusé avant tout.
« Il me semble reconnaître de l'abus de pouvoir, monsieur. »

Un ton léger l'espace d'un instant. D'un bref instant qui se suspend brièvement.
« Mais... à vos ordres, Caporal. »
Alors tu le suis. D'un mouvement lent, tu empruntes ce chemin. Un chemin qui ne change jamais. Parce que les sentiments restent les mêmes. Peu importe à quel point vous hurlez vos regrets. Ils restent.
Indélébile.
« Caporal... Est-ce qu'il y a des jours où l'on peut dormir ?... Fermer les yeux et ne plus rien voir ? Est-ce qu'ils nous arrivent... d'avoir la chance de pouvoir se noyer en silence, sans rien ni personne ? » tu marches en te posant cette question. Tu as tant de question. Que tu n'oses jamais énoncer. Et d'ordinaire, tu aurais criée que l'on te laisse en paix. Que l'on t'oublie, mais ce soir.

Tu te sens l'âme esseulée.

J’ai vu tes peurs se cacher près de notre passé. Et laisse-moi seul, laisse-moi loin de tes côtés. Mais oublie-moi, parcours ces flots, efface mes pas...

Pando

« Si vous voulez vivre. » ce sont les mots qui restent. Ils s'installent dans un coin de ta tête. Tu as tout entendu, tu as tout retenu, mais... ce sont eux qui coincent malgré toi. « Si vous voulez v i v r e. »
Quand ?
Quand est-ce que tu as commencée à te demander si tu le voulais encore ou non. Si la mort ne t'étais pas trop indifférente. Ça te brise le cœur, l'esprit et même les nuits de voir les autres périr, mais toi... quand toi tu penses à ta mort, quand tu l'as frôle. Tu es si vide.
« Je crois qu'il est là. Le problème. »

Tu t'arrêtes à quelques pas derrière lui. Tu y penses si souvent, mais tu n'arrives pas à comprendre. Cette vie que tu as passée, que reste-t-il d'elle ? En route, tu as perdu un objectif de vue.
Une envie.
Une idée aussi. Un rêve surtout à dire vrai. Tu as perdu quelque chose.
« Est-ce que vous pensez... qu'il y aura une fin à tout cela ? Pour nous je parle... »
Est-ce que cet espoir que tu vois luire dans les yeux des plus passionnés a raison d'exister. Est-ce que les nouvelles recrues pleines d'envies ont raison d'y croire.
Est-ce vain ?
« Une fois que l'on a vu la réalité en dehors des murs... j'ai du mal à nous imaginer libre de sortir des murs un jour... » un faible sourire. « Mais j'imagine que l'espoir est tout ce qu'il reste encore. Aussi infime soit-il... »

Aussi inutile peut-il être. C'est ce qui permet de vivre. Si tu vis encore, Max, n'est-ce pas parce que tu y crois encore ? Tu ne sais pas.
« Je suis un peu... perplexe. J'essaye de ne pas ressasser, mais ils s'imposent à moi. Est-ce que ce n'est pas une trop grande faiblesse pour être un soldat ? »
Tu ne sais pas si tu lui poses cette question ou si tu parles seule. Tu ne sais plus vraiment parce que cela fait des années que tu n'as rien dit. Et tu sens la pluie.
Intrusive.
Insistante et froide qui glisse le long de tes traits fatigués.

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Pando

As-tu conscience de ce que tu es ? Les défauts sont une choses que la plupart des êtres humains connaissent. Ils ne voient généralement que cela. Les défauts des autres, mais surtout les leurs. Ils en deviennent souvent des complexes qui mènent la vie dure. Mais est-ce que te savoir faible te rend plus forte ?
Inflexible ?
Tu te le demandes alors que tu l'écoutes. Alors que tu le vois s'appuyer contre ce mur. Et tu l'observes en silence. Comme si tu le voyais finalement pour la première fois. Comme si depuis tout à l'heure, tu n'avais pas été capable de le voir en réalité.
« J'ai conscience... que tout ceci est éphémère, monsieur. Que même cet instant avec vous, cette conversation que nous avons... elle pourrait ne jamais se reproduire. J'ai conscience que si dans deux jours nous avons une mission, l'un de nous pourraient ne pas en revenir. J'ai conscience qu'au vu de ma position... je pourrais mourir sans que personne ne sache pourquoi. Peut-être même que durant des jours, personne ne saurait si je suis vraiment morte ou pas. »

C'est la réalité de vos vies. Du choix que vous avez pris à la fin de vos classes. Vous êtes venus ici en ayant l'espoir de changer ce monde. La plupart en tout cas, toi tu es là parce que c'était sa place. Parce que c'est qu'il avait décidé de faire.
Son rêve.
Mais même son rêve te semble bien trop lointain à présent. Ce soir, tu te sens vide. À porter trop de poids sur les épaules, trop de secrets, trop de non-dit et de pleure jamais versés, on finit par se casser. Lentement on se fissure et c'est ce qui t'arrive.
Sous ses yeux.

Tu serais presque choquée par la suite. Une vieille carpette ? Pendant une brève seconde, tes sentiments te poussent à le retenir, mais tu ne peux l'empêcher.
Ce sourire.
Encore une fois, tu souris. Accompagné d'un son amusé bref et vite oublié. Tu pouffes en réalité avant de relever un regard dans le sien, venant appuyer ton dos contre le mur.
« Est-ce si grave ? Si je ne suis pas très attrayante ? Je ne savais pas qu'un soldat se devait d'être attirant... mais si tel est le cas, j'en suis navrée. Devrais-je être plus apprêté la prochaine fois que nous nous croiserons ? »
Tu sais qu'il ne disait pas cela pour ça, évidemment et cela s'entend au ton de ta voix. Ça te fait du bien. De pouvoir dire des choses comme cela. De plaisanter. Après tout, il parle de l'image de la femme et de ce qu'elles veulent renvoyer. Plaire et être regardée, c'est naturel, mais toi...
Non.

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Pando

Une femme avant d'être un soldat. Peut-être qu'au fond tu lui ressembles réellement. Il est une arme pour l'humanité, il se voit avant tout comme un soldat. Et toi... au jour d'aujourd'hui cette part de féminité t'importe peu.
Inutile.
Dans cette vie bordélique que tu trimbale, il n'y a pas à songé à cela. La vie peut s'éteindre d'un instant à l'autre. Tu pourrais perdre un bras. Être défiguré. Mourir au combat. Dans tout cela, quel intérêt reste-t-il à être une femme ?
Un rire.
Encore et tu ne peux l'empêcher. Un bref rire. Comme ceux précédemment.
« Êtes-vous un homme avant d'être un soldat, monsieur ? »

Tu sais ce qu'il en pense. Sûrement. Il a l'air d'être ce genre d'homme. De ceux qui ne pensent qu'à la mission qu'ils doivent remplir. Aux devoirs qui les attendent.
« Je n'oublie pas être une femme, mais je crois que ce n'est pas nécessaire pour un soldat. Et puis, je vois mal quand est-ce que je pourrais trouver un prétendant à ma vie de femme. »
Un sourire.
Ce n'est pas comme si tu espérais vivre assez longtemps pour fonder une famille. Ce n'est pas comme si tu voyais la possibilité d'avoir un jour un enfant, un mari, une autre vie. Ce seul amour n'existe plus et tu ne sais pas comment regarder les autres.
Fermée.
« J'essayerais... de ne plus pleurer devant vous, Caporal. Vous devez avoir assez de travail comme ça et être assez fatigué sans avoir besoin de voir les soldats pleurer. »

Tu inspires longuement. Cherchant l'air qu'il te manquait. Cette oppression dans la poitrine. Tu vois les visages, tu entends les voix. Peu importe à quel point tu tentes de fuir. Il n'y a aucune échappatoire.
« Puis-je... vous poser une autre question ?... Vous avez toujours voulu être dans les bataillons d'explorations ? ... Navrée si cela vous semble déplacé. »
Tu n'attends pas pour demander. C'est une simple forme de courtoisie sûrement de demander, rien de plus. Après tout, tu as besoin de savoir ce soir. De poser des questions.
De t'ouvrir.
Ce n'était pas arrivé depuis des années. Que tu te retrouves ainsi à parler à quelqu'un.

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Pando

Des doutes ? Il y a toujours des doutes. Même si pendant un instant, l'être humain ne doute pas, il finit toujours par se poser une question. Une question qui, elle, entraîne les doutes. C'est un cercle vicieux.
Inlassable.
Qui ne cesse d'arriver. Tu auras toujours des doutes. Sur ce que tu fais, sur ce que tu as fais, sur ce que tu feras à l'avenir. Des doutes quant à tes actions, à tes choix, tes décisions. Parce que vous ne menez pas une simple vie de salariés.
« Parfois... Parfois je ne peux m'empêcher. Je ne suis pas responsable des missions, ni de leur déroulement, mais à mon poste... si je fais une erreur, je peux tuer beaucoup de soldats. Alors... je ne peux m'empêcher de douter de ce que je fais. De ce que je ne fais pas aussi. De mes choix. »

Des gens sont nés pour ça. C'est ce qu'il a dit et tu y repenses alors que tu regardes dans le vide. Est-ce le destin ou le hasard ? Est-ce l'un des deux qui a conduit tes pieds jusqu'ici ? Jusqu'à cet instant ? C'est le hasard de l'avoir rencontré lui. Ou une destinée de ta naissance.
Les deux.
« Vous ne doutez jamais de vous ? Vous n'avez jamais... douté de votre choix d'être venu ici ? Que peut être... finalement... ce n'était pas votre place ? »
L'être humain s'obstine souvent. Il pense avoir trouvé sa place et il s'obstine à le croire pour ne pas avoir peur de devoir faire demi tour. Tu as déjà vu cela.
Des soldats.
Des soldats qui en sont morts. Parce qu'ils s'obstinaient dans une voie qui n'était pas la leur. Ils n'avaient pas le courage de passer outre une fierté.

« Parfois je me demande si le courage à lui seul peut suffire. Ou bien si c'est le manque de courage qui est responsable. Ou bien... si c'est nous qui nous trompons simplement de vie. » tu pouffes, pessimiste. « Je crois que c'est trop poussé pour les simples êtres humains que nous sommes. »
Tu ne pourras jamais savoir. Tu n'auras jamais ces réponses. Peu importe le nombre de fois où tu te les poseras. Peu importe même du jour de ta mort. Tu ne sauras jamais si tu as fait le bon choix.
Ni lui.

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Pando

Doucement, tu le vois faire. Il se redresse, s'étire et sa main vient toucher une mèche. Elle se dégage doucement et tu l'observes faire. C'est surprenant, un peu déstabilisant.
Troublant.
Les rumeurs te reviennent. Ce que l'on peut entendre sur lui. Ce que les autres peuvent dire de lui. Dans son dos, en secret. Quand ils le croisent. Kelsier Hodgen fait peur. Il est craint. Il est tranchant. Violent pour certains. Il en ferait pleurer plus d'un. Et plus d'un tremble en le voyant arriver. Pourtant à cet instant précis, tu le revois faire.
Hébété.
C'est le seul mot qui convient à la situation d'abord. Et puis, tu plisses les yeux légèrement avant de donner sens à tout cela. C'est un geste comme un autre. Alors tu laisses un sourire s'entrevoir.

« M'accompagneriez-vous pour boire ce verre ? À cet instant précis, je me sentirais misérable de boire seule, monsieur. »
Tu te promets de ne boire qu'un verre cependant. Et encore, tu doutes de pouvoir tenir ce seul verre, mais en ce moment ça te semble être une bonne décision. Tu t'entête à croire qu'un seul verre sera possible.
Envisageable.
Surmontable aussi. Alors tu inspires avant de le dépasser, prenant le temps de rassembler le reste de tes cheveux avec cette mèche qu'il a dégagé. Tu retournes dans les cuisines du QG. À cette heure, tu espères simplement ne croiser personne, mais tu doutes qu'il reste des gens présents. Tu espères.
« Je n'ai pas l'habitude de boire, je vous préviens. »
Tu te sens soudainement obligée de le préciser. Un peu comme pour prévenir d'un éventuel problème futur. Il ne faudrait pas qu'il te prenne en grippe si tu commences à agir étrangement.

« Que voulez-vous boire, Caporal ? »
C'est une question que tu poses rarement. À dire vrai, tu ne sais pas ce que tu pourrais boire toi-même. Un verre, c'est vague. Un verre de quoi au juste ? Tu as beau regarder les bouteilles que tu vois, tu ne sais pas.

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Pando

Les bouteilles sont différentes. Tu reconnais évidemment ce qui semble être de la bière. Puis du vin également. Les noms te parlent, mais la plupart te sont inconnus en matière de goût ou de pourcentage d'alcool. Tu cherches la meilleure option. Pour ne pas mourir.
De honte.
Il vient à ton secours en choisissant finalement pour vous. Tu le regardes faire, observant le verre qu'il pousse vers toi. Pendant une brève seconde, tu hésites. Un bref instant avant de te souvenir de ne pas trop réfléchir. C'est ce qu'il a conseillé après tout.
« Qu'est-ce qui pourrait bien arriver de pire que pleurer sous la pluie ?... »

C'est une très bonne question en effet. Tu ne sais pas vraiment si tu as envie de le découvrir. Têtues cependant, tu finis par l'attraper fermement. Tu ne vas pas reculer maintenant.
« Monsieur... »
Que tu dis simplement avant de le lever légèrement vers lui, buvant une gorgée par la suite. C'est fort en goût. Ou bien est-ce juste ton manque d'expérience. Tu mâches doucement avant de regarder le sol.
Chaud.
Tu sens bien que cela va être plus compliqué que prévu. Tu peux t'entêter longtemps, ça ne changera rien aux faits. Alors tu bois une nouvelle gorgée comme pour oublier ce que tu fais.
« Je vous remercie... d'être venue avec moi. De boire avec moi. De perdre votre temps aussi avec tout ça. J'espère au moins que ce verre sera bon. »
Bon ? Effectivement, maintenant que tu y penses c'est plutôt bon. C'est fort pour toi, mais c'est bon. Alors tu enquilles une troisième gorgée. Plus grande celle-là. Tu bois trop vite, Max. Tu le sens bien.
« Vous buvez souvent ? Je sais que beaucoup de soldats aiment boire. J'en vois régulièrement dans les tavernes. Ils y restent souvent des heures. »

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Pando

Il finit son verre en deux temps et tu clignes des yeux en le regardant faire. C'est presque comme s'il y avait soudainement un esprit de compétition. Chez toi en tout cas. Tu ne peux pas paraître aussi frêle que cela. Ou bien est-ce déjà les prémisses d'une chute certaine ?
Alcoolisé.
Secouant légèrement la tête, tu inspires avant de finir ton verre d'une traître. Ce qu'il reste en tout cas. Tu avales dans une grimace avant de tendre ton verre.
« Avec plaisir... Je ne vais pas vous laisser boire seul. »

Tu esquisses un sourire avant de boire à nouveau. Finalement, tu viens t'asseoir sur une chaise. C'est probablement plus prudent. C'est assez drôle de voir l'effet de l'alcool sur un être humain. La vitesse à laquelle ils arrivent. À quel point ils peuvent être difficiles à gérer.
À appréhender.
« Vous ne vous ennuyez pas à boire seul ? »
Boire seul, c'est un peu triste quand on y pense. D'un autre côté ça a probablement un air très charmant ou mature également. Tu commences à songer à des choses et d'autres. À le regarder plus en détails en te posant des questions. Tu deviens curieuse, plus encore tout du moins.
« Je me demande pourquoi tout le monde a peur de vous... Je veux dire, j'ai beau regarder depuis tout à l'heure, je ne vois rien d'effrayant dans votre façon d'agir avec moi... c'est assez surprenant ? Est-ce que c'est ce qu'on appelle de la jalousie ? Parce que vous êtes plus attrayant qu'eux ?... »
Tu baragouines des trucs alors que tu penches la tête d'un côté, puis de l'autre en le fixant.

On sent que l'alcool n'est pas loin. Il y a toujours cet aspect très direct chez toi, mais à cet instant il est différent de d'habitudes. Tu as tendances à être directe pour dire ce que tu penses des autres. Il est plutôt rare de te voir parler d'un homme en le pensant attrayant.
Inhabituel.
C'est la première fois depuis longtemps que tu regardes un homme autrement que comme un simple soldat ou citoyen. Peut être parce que sa gentillesse à ton égard te fait penser à lui.
« Les hommes sont jaloux de ça entre eux ?... Je me demande. »

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Pando

Il rit. C'est probablement une des rares fois où tu pourras le voir rire. Alors tu le fixes plus insistante qu'avant. Tu ne lâche pas tes yeux de son visage souriant. Tu déglutis une seconde en le voyant avant de détourner les yeux en buvant ton verre.
En silence.
Tu le bois d'une traite de façon régulière. Essayant vainement de ne pas boire trop vite comme plus tôt, mais c'est trop tard. Tu sens ton corps faire des mouvements lents. Avec cette impression d'être dans l'espace. Heureusement que tu es assise.
« C'est bizarre que je dise attrayant ?... »
Tu penches un peu la tête en y réfléchissant. Tu ne dis rien de plus, hochant simplement la tête avant de le voir te fixer. Il te fixe trop longtemps à ton goût.

Tu affiches une petite moue perplexe avant de regarder ailleurs. Tes joues sont roses ? Ah ? Instinctivement, une main vient se poser doucement sur l'une d'entre elles.
C'est chaud.
Ou bien est-ce seulement ton imagination ? Sûrement. Tu es à côté de la plaque déjà. Tu mâchouilles à nouveau la salive qui devient plus sèche. Tu as soif.
« Un dernier verre. J'ai soif maintenant... »
Tu tends ton verre en hésitant un peu d'abord avant de sourire. Un large sourire alors que ton verre fait des bonds. C'est ta main qui bouge avec insistance pour lui faire comprendre que tu en veux encore alors que tu te penches vers lui.
« L'hydromel c'est pas mal, au final. Caporal, buvons un dernier verre. Après je jure d'aller dormir ! C'est une promesse ! »
Tu ris maintenant. Tu ne sais pas vraiment pourquoi. C'est illogique de toute manière. L'alcool rend souvent confus. Demain tu auras une belle gueule de bois parce que tu es faible.

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Pando

Alors que tu agites ton verre devant lui en souriant, il t'attrape soudainement. Tu voyais son geste comme une approbation. Tu ne t'attendais pas à ce qu'il vienne tirer sur ton poignet. Il se relève en même temps et tu laisses un cri t'échapper.
Surprise.
Tu sens ses bras contre toi. La chaleur d'un autre corps. Et tu déglutis à nouveau, partagée. Il te laisse une seconde comme pour t'y habituer avant de te soulever du sol.
« Hé... »

C'est un non alors. Tu t'en doutais. Un peu comme si tu venais de dessaouler en une fraction de seconde. Il y a de l'hésitation. Un sentiment difficile également. Un réconfort surtout. Tu es perplexe. Tu sembles réfléchir à ce que tu dois faire dans cette situation.
Tu cogites.
En vain alors que tes sentiments se dirigent dans une seule direction. Tu te souviens de ce qui te manque. Et pour une fois, tu l'acceptes. Muée par la liqueur du péché qui coule dans tes veines. Tu es fatiguée, Max. Pour beaucoup de raisons. Cette soirée ne fait que chavirer un peu plus tes états d'âme. Tu as pleuré. Tu as été réconfortée. Tu as ri. Tu as bu. Et maintenant tu le sens en te souvenant.
La solitude.
« Caporal Hodgen... désolée. »

Un bref murmure alors que tu viens poser ta tête contre son épaule. C'était quand la dernière fois que quelqu'un t'a pris dans ses bras ? Tu as oublié de vivre cette vie en existant. Faisant passer ton devoir de soldat, son rêve, sa vie avant la tienne.
Tu as oublié de vivre.
Lentement, tu viens enrouler tes bras autour de lui, serrant sa cape fermement. Ça fait mal. Ça fait du bien. C'est contradictoire et contrariant. D'ordinaire, tu aurais crié. Tu aurais repoussé cette chaleur. Par fierté ou par stupidité. Pour continuer de te voiler la face parce que c'est plus simple d'exister de cette manière.
D'ordinaire, mais ne dit-on pas que l'alcool délie les êtres humains ?

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Pando