Quatre ans. Voilà quatre ans que la nouvelle était parvenue à tes oreilles. Tes parents t'avaient fiancée quelques jours à peine après avoir fêté ton dix-huitième anniversaire. Tu ignorais tout de cet homme, si ce n'est son nom et qu'il était apparemment suffisamment un bon parti pour que tes géniteurs acceptent d'offrir ta main. Sauf qu'il était temps, désormais, de rencontrer ton fiancé. Ou plutôt, de découvrir qui il était. Tu avais mené ta petite enquête et, de ce que tu savais, il était un membre de la Brigade Spéciale en plus d'être borgne. Ce n'était pas grand chose, mais il s'agissait déjà de bons indices.

Ce fut pour cette raison que tu avais quitté la demeure familiale pour te rendre à Stohess. Là-bas, tu pourras - enfin, tu l'espérais - trouver ce Saddler et le suivre, car ton but était effectivement de le suivre toute une journée pour en apprendre davantage à son sujet. Encore là, il fallait qu'il sorte du QG de la Brigade... Adossée contre le mur d'un bâtiment à proximité du quartier général, tu attendis patiemment. De toute façon, ce n'était pas comme si tu avais vraiment autre chose à faire.

Tu ignores combien de temps tu attendis avant d'apercevoir un homme qui correspondait à la description de Alec. Du moins, à voir son cache-oeil, tu en conclus que c'était lui. Il ne devait pas avoir trente hommes borgne, non? Tes doigts effleurèrent doucement du bout des doigts la broche en émeraude que tu portais en tout temps sur toi et tu prias pour réussir à passer inaperçu. Tu n'avais évidemment pas reçu de formation dans l'armée et ta maladresse ne t'aiderait probablement pas, mais tu devais essayer. Une fois que l'homme s’éloignât du QG, tu entrepris de le suivre aussi discrètement que possible. Enfin, discrètement... Dès qu'il se retournait, tu te cachais derrière des murs ou des caisses en boîte, ce qui n'étaient vraiment pas subtils. Tu savais que les passants te regarder, mais peu importe! Tu allais faire tout ton possible pour découvrir qui était réellement ton fiancé.

Tu aurais dû t'en douter. Tu n'étais pas entraînée comme l'était cet homme. Il allait certainement se rendre compte qu'il était suivi à un moment ou à un autre et pourtant, tu continuais de le suivre. Et alors, tu le perdis de vue. Tu avais fait attention pour ne jamais le quitter des yeux, mais il avait disparu. Sans faire attention, tes pieds s'avancèrent encore et encore jusqu'à passer devant la ruelle dans laquelle il s'était caché. Tout se passa bien trop soudainement et rapidement que tu eus seulement le temps de pousser un cri. Tu te débattis un moment, mais c'était inutile. Et puis, lorsque tu te rendis compte qu'il s'agissait d'Alec, tu arrêtas de t'agiter. De toute façon, tu ne ferais qu'envenimer la situation, non?

Tes pupilles azurés plongèrent dans celle, unique, de l'homme qui venait de te plaquer contre un mur. Complètement immobilisée, tu osais à peine respirer. Tu déglutis péniblement. Que faire? Tu ne voyais qu'une seule option : lui répondre sincèrement. De toute façon, tu détestais mentir - et tu mentais très mal. « J-Je me nomme Ismey Rosenthal et... et je vous suivais pour savoir qui vous étiez. » Ce n'était pas un mensonge, loin de là, mais tu poursuivis pour éviter qu'il ne se méprenne. « Je me suis dit qu'après quatre ans à être fiancée à vous, je devais bien apprendre à vous connaître. Quoique... Je ne m'y suis peut-être pas prise de la bonne façon... » déclaras-tu en déviant le regard. C'était quoi aussi cette idée de le suivre comme cela? Il devait sûrement t'avoir prise pour une voleuse ou peu importe. Un soupir s'échappa de tes fines lèvres. Décidément, cela ne commençait pas très bien. « Vous voulez bien me lâchez ? »

Lorsque tu te présentas finalement, il y eut comme un déclic dans l'esprit d'Alec. Du moins, c'est ce que tu en conclus puisqu'il te lâcha aussi soudainement qu'il t'avait plaqué contre ce mur. Tu grimaças quelque peu tout en frottant tes pauvres poignets. Il n'y était pas allé de main morte! Comment lui en vouloir? Tu avais voulu le suivre, à toi d'en subir les conséquences.

Il te demanda alors si tu ne pouvais pas tout simplement venir le voir plutôt que de t'amuser à jouer à l'enquêtrice. Alors là, il marquait un point. Tu lui souris alors. « Vous avez raison. J'aurais dû venir vous voir, mais je préférais en savoir un peu plus sur vous avant. » Tu relevas la tête pour plonger à nouveau ton regard clair dans le sien. Et dans tes yeux se lisaient la sincérité de tes excuses. « Pardonnez-moi de vous avoir suivi. » Tu préférais t'excuser, surtout en entendant le ton de sa voix. Il semblait quelque peu de mauvaise humeur, mais ce n'était guère de ton intention. Tu espérais simplement qu'il parviendrait à te pardonner.

Tu ne pus t'empêcher de rire, néanmoins, lorsque déclaras que traîner dans la rue n'est pas sûr pour quelqu'un comme toi. « Très bien, si vous le dites! Je ne sais peut-être pas me défendre comme vous, mais je sais courir vite » Tu le rejoignis hors de la ruelle et commenças à marcher en direction de la demeure des Rosenthal. Les mains jointes dans ton dos, tu observas les alentours. Il était rare que tu venais à Stohess après tout. Quelques minutes de silence s'imposèrent entre vous deux avant que tu ne reprennes la parole. « Cette histoire de fiançailles, c'est ridicule. Vous ne trouvez pas? Forcer des gens à se marier seulement pour l'intérêt de deux familles... »

Il marchait un pas devant toi, comme s'il était pressé de te ramener chez toi. Comme si tu en avais réellement envie! Cette prison dorée... elle commençait à te faire suffoquer. Tout comme le contrôle de tes parents. Pourtant, tu n'avais pas le courage de partir, de voler de tes propres ailes. Tu te souvenais d'une question qu'une fille du bataillon d'exploration t'avait posé. Si votre vie ne vous convient pas, pourquoi n'en changez vous pas? Tu hésitais, mais depuis, cette idée germait tranquillement dans ton esprit.

Décidément, ce Alec n'était pas très sympa avec toi. Dans un sens, tu le comprenais. De un, tu l'avais suivi ce qui n'était pas une très bonne idée de ta part. De deux, vous étiez fiancés ce qui devait certainement l'agacer, non? Tu ne peux pourtant pas t'empêcher d'aborder le sujet. Tu as besoin de connaître son ressenti face à cette situation. Et, heureusement pour toi, il était de ton avis. Il n'avait rien contre toi, mais il refusait de s'enchaîner à quelqu'un qu'il n'aimait pas. « Je pense exactement la même chose que vous. J'ai beau obéir à mes parents pour qu'ils me laissent tranquille, je ne peux cependant pas accepter d'épouser un homme qui ne m'aime pas et que je n'aime pas. » Au moins, vous étiez sur la même longueur d'ondes à ce sujet. Tu poursuivis alors sur la même lancer, souriant comme à ton habitude. « Je veux bien vous aider pour rompre ces fiançailles, mais laissez-moi vous prévenir. Mes parents ont porté leur choix sur votre famille, ce sera donc difficile de les faire changer d'avis. » Tes parents, tu les connaissais. Une fois qu'ils prenaient une décision, il était difficile ensuite de les faire abdiquer. En fait, tu n'y étais jamais parvenue. Il allait certainement vous falloir un gros scandale ou tu ne sais quoi pour qu'ils acceptent de rompre cet engagement. Mais quoi? Là était la question.

Alec ralentit finalement pour te permettre de marcher à son niveau. Il semblait se calmer, du moins, tu l'espérais. Le fait de lui parler de tes parents ne semblaient pas trop le déranger. Il se débrouillerait, disait-il. Son père étant décédé, il n'y avait plus personne dans sa famille qui approuvait cette union. Cela faciliterait peut-être les choses, effectivement. Sauf que tes parents risquaient d'être de mauvaise humeur. C'était un affront, de rompre des fiançailles. Une honte.

Il t'offre un sourire léger, et tu lui souris à ton tour. Il s'excusa pour son comportement. Il était vrai qu'il n'était pas très sympathique à ton égard. Il était distant, tu le sentais. « Ce n'est rien, ne vous en faites pas. » Tu ne pouvais pas lui en vouloir, mais tu étais tout de même heureuse qu'il en ait conscience. Il te demanda par la suite comment tu étais arrivée jusqu'ici. « Ce n'est pas la première fois que je viens à Stohess et j'utilise toujours le même moyen : une calèche. Malheureusement, je ne sais pas monter à cheval. » Ton index vint gratter ta joue, signe que tu étais une peu gênée. Tu avais toujours voulu apprendre, mais ta mère n'avait jamais voulu te laisser apprendre. Sauf que tu te promettais, qu'un jour, tu le ferais. « Je viens aider des couturières ayant une boutique ici. La couture, c'est tout ce que je sais faire. Ça me permet de me rendre utile tout en évitant de rester à la maison. » Et de suffoquer.

Lorsque tu lui expliquas que tu ne savais pas monter à cheval, tu fus plutôt surprise qu'il te propose de t'apprendre. Et cela se voit, dans ton regard. Il faisait des efforts et, tu devais l'avouer, c'était apprécié. Tu lui souris et hochas la tête. Un jour, peut-être que tu pourrais apprendre de lui, oui! Sauf que ce ne serait certainement pas pour tout de suite.

Tu poursuivis en lui parlant des couturières que tu venais régulièrement aider ici, à Stohess. Tu n'avais pas vraiment d'autres talents à part cela, mais Alec était certain du contraire. Il disait que tu possédais probablement d'autres talents cachés qui ne demandaient qu'à être dévoilés. « Oui, peut-être, vous avez raison. Sauf qu'avec mes deux pieds gauches, j'ai bien peur d'être limités dans certains domaines. » Et tu te mis à rire. Tu étais maladroite, tu ne le niais pas. Au contraire, tu préférais en rire plutôt que d'en avoir honte. Cela faisait partie de toi après tout. « Et vous Alec? Avez-vous des talents particuliers? Je veux dire, vous êtes quand même arrivés dans les dix premiers de votre promotion, ce doit être quand même exceptionnel. » Tu ne connaissais pas grand-chose de l'armée, mais tu t'étais renseignée un peu sur les Brigades Spéciales. C'était tout de même impressionnant d'arriver dans un tel classement. Surtout que les entraînements devaient être difficiles.

Tout le monde était maladroit dans un domaine, mais tous avaient également des forces ailleurs. Tu devais le retenir. Tu ne pouvais pas être douée dans tout, après tout. Alec s'arrêta alors pour observer les alentours, et tu fis de même. Et tu souris en découvrant qu'il savait danser, coudre, cuisiner et monter à cheval. Ce n'était pas parfait, disait-il, mais il s'en sortait bien. Il devait même s'en sortir mieux que toi!

Il déclara alors qu'il allait te laisser mener, car à partir de là, il ne connaissait pas le chemin. Pendant quelques instants, tu le fixas, un peu crédule, la tête penchée sur le côté. En fait, tu ne comprenais pas ce qu'il disait jusqu'à ce qu'un déclic se fasse dans ta tête et tu te mis à rire. Non, tu ne te moquais pas de lui. La situation était seulement amusante. « Désolée Alec, mais il nous faudra un peu plus de temps pour rejoindre ma maison. Elle est située à Mitras... » Sauf que tu ne lui en voulais pas. Comment pouvait-il savoir où tu vivais après tout?

Il ne fallait pas lui en vouloir. Il avait oublié, tout simplement. Et puis, ce n'était pas comme si vous vous connaissiez depuis longtemps. Alec te proposa donc de dormir chez lui, dans sa chambre d'ami. Ainsi, tu pourras te reposer et repartir le lendemain. Cela semblait être une bonne idée. « D'accord, faisons cela! » Cela t'évitait de rentrer à la maison, ce qui te plaisait plutôt bien. Disons simplement que tu n'appréciais pas trop le contrôle de tes parents. Alors, dormir une nuit hors de la maison, c'était agréable comme idée.

Le soldat t'expliqua ensuite que vous n'étiez pas très loin de chez lui. Il fallait seulement arrêter manger quelque part puisqu'il n'avait rien chez lui. À moins que tu n'aies déjà dîné. Tu secouas doucement la tête et lui souris. « Ça tombe bien, je n'ai pas mangé non plus! Je vous suis! » Tu venais peut-être de temps à autre à Stohess, mais Alec était le mieux placer pour te guider. Il devait bien connaître quelques endroits pour manger, non?

Sans dire un mot, tu le suivis. Tu observais autour de toi, plutôt intriguée. À vrai dire, c'était la première fois que tu venais dans cette partie de la ville. Tu ne connaissais donc pas l'échoppe où Alec acheta votre repas du soir. Curieuse comme tu étais, cela te faisait plaisir de découvrir de nouveaux endroits. Il t'indiqua ensuite un immeuble qui, tu devais l'avouer, n'était pas le plus luxueux. Sauf qu'en observant le quartier, tout semblait plus modeste qu'ailleurs. Même l'intérieur de l'appartement l'était. Cela te surprenait, mais en même temps, cela te fit sourire. Bien des nobles ne supporteraient pas de vivre dans un tel endroit lorsqu'ils sont habitués au luxe.

« Désolée de m'imposer comme cela, à l'improviste. » Tu lui souris, un peu gênée. Ton but en le suivant aujourd'hui n'était certainement de t'imposer chez lui comme cela. Sauf que tu n'avais pas vu le temps passé et il se faisait déjà tard.