Son cœur a raté un battement lorsqu’il l’a vu, cet éclair. La panique s’est emparée de lui. Il a réagi, mais il a surtout réagi bien trop tard. Il n’avait eu que le temps de pousser cette femme qui se tenait près de lui, au beau milieu de la rue, cette lance l’avait frôlée de si près qu’il avait eu cette sensation acide au fond de la gorge, celle d’avoir encore une fois vu la mort lui arriver dessus. Il y avait eu ce mouvement de foule, et ces deux minutes avaient sembler être des heures. Des heures parfaitement infernales, insupportables. Il avait fait de son mieux, il avait voulu se montrer digne de ce nom qui était le sien. Il en avait payé le prix fort lorsque cet os lui avait transpercer l’épaule. Sensation brûlante, l’objet tranchant et pointue lui avait arracher un hurlement, puis un second lorsqu’il avait tiré dessus avec violence pour l’extraire de sa chair.

Il s’était mis à marcher, une grimace peinte sur son visage. Il avait déjà disparu. Lucian avait soupirer, s’arrêtant là, au milieu de la rue et des corps. Et puis, elle était passé devant lui, cette fille. Elle avançait lentement, elle semblait appeler quelqu’un, et il n’avait pas réagit dans un premier temps, pas avant qu’il ne la voie perdre l’équilibre. Ses réflexes avaient alors pris le dessus, il l’avait rattrapée de justesse, tombant à genoux en la serrant contre lui avant de venir dégager ses cheveux de son visage pour tapoter sa joue, délicatement. « Aller la belle au bois dormant, on se réveille, c’est pas le moment de faire la sieste. »

Il pourrait la porter, mais sans compter sur son épaule tâchée de sang. Il préfère la réveiller, ou du moins essayer, surtout qu’il ne saurait même pas où l’emmener. Il se dit que c’est terminé, de toutes façons, qu’il n’y a plus réellement de danger, du moins pour le moment. Il n’y a pas lieu de courir se mettre à l’abri.

Elle ouvre les yeux assez vite, elle réagit, se redresse. « Ne soyez pas désolée, vous avez l’air d’avoir pris un sacré coup sur la tête… » Il soupire, il se met à regarder autour de lui, à chercher à travers la foule, les cadavres, les débris. Il ne voit rien, rien qui l’alerte, qui l’inquiète ou qui le pousse à se lever dans l’immédiat. Du coup, il repose simplement les yeux sur cette jeune femme. Il ne va tout de même pas la laisser par terre au milieu des corps transpercés. « Ça chère demoiselle, c’était un titan. » Pourquoi est-ce qu’il ne le dirait pas ? Il le sait. Il l’a vu. Il a vraiment tout vu.  « Bon, vous pouvez vous levez ? On est pas a l’abri de le voir réapparaitre soudainement, je dirais. » Manquerait plus que ça tient.

Elle se redresse, cependant, il voit bien que ça lui demande de nombreux efforts. Qu'elle peine un peu. Elle a du tomber, ou prendre un débris sur la tête, il faudrait qu'elle voit un médecin. Il se redresse, se place à côté d'elle, debout. Les yeux toujours grands ouverts, il est toujours en train d'observer ce qui se passe autour de lui avec grande attention, même si une partie de sa concentration s'envole, à cause de cette fille qu'il garde à l’œil. Il ne voudrait pas qu'elle s'effondre à nouveau. « Appuyez vous sur moi. » Sans la prévenir, il se baisse légèrement pour qu'elle puisse passer son bras par dessus ses épaules et son bras à lui se glisse dans le bas de son dos, il l'attire légèrement contre lui, pour l'aider à marcher. Et puis, un sourire se dessine sur ses lèvres. « C'est votre petit-ami ? Et il réponds au sifflet … ça alors, vous êtes une sacrée veinarde, vous. » Oh, il a bien compris qu'elle parlait d'un cheval, en réalité, ça tombe même totalement sous le sens, mais c'est Lucian, il est taquin, il ne peut pas réellement s'en empêcher.

Il l’entraine avec lui, à l’écart. En fait, il ne sait pas tellement quelle direction emprunter, parce qu’il ne sait même pas où se trouve l’endroit le plus en sécurité, actuellement. Il a l’impression que Karanes est devenu un champ de bataille, et pourtant, tout est étrangement calme actuellement. Si calme que ça le fait frissonner. « Et bien, Oksana, je n’ai pas pour habitude de laisser les jeunes femmes qui s’effondrent devant moi agoniser sur les pavés. » Il ne sourit même pas, alors qu’il taquine. C’est dire à quel point il est inquiet, à quel point la situation le prend aux tripes, à quel point il se sent en colère, aussi, et très impuissant. « Je m’appelle Lucian. » Juste Lucian. Il ne dit jamais plus que son prénom, déjà parce que ce n’est pas nécessaire, ensuite parce que son nom et, par endroit, bien connu et reconnu. « Vous habitez dans le coin ? »

Il se remet à l’observer, inquisiteur, il guette ses symptômes. Même s’il n’est clairement pas médecin, il sait que certains signes ne trompent pas. Il aurait bien pris le temps, fait l’effort de la raccompagner chez elle – à condition que sa maison ne soit pas parmi les débris qui traînaient un peu partout – mais … elle habite bien trop loin pour ça et puis surtout, elle n’est pas en état du tout de faire un voyage pareil pour le moment.

Il avise ce qui peut bien se passer autour de lui. Ce n’est pas brillant mais au moins, quelques petits postes se mettent en place un peu partout pour prendre soin de blessés. Quelques médecins semblent déjà sur place. « C’est normal, vous devez avoir une commotion. » En clair, elle devait voir un médecin et se reposer. « Mh … » Il bouge, se baisse légèrement et passe son bras sous ses genoux pour la soulever. Il la sert contre lui avec précaution. « Faut pas que vous restiez debout. » Il se met à avancer, il a repéré un petit dispensaire qui se mettait en place et il vient la déposer sur un des lits de fortune avant de faire signe à un médecin de venir s’occuper d’elle. Il reste à côté, histoire d’attendre les résultat de l’examen, d’avoir des nouvelles, mais il n’en oublie pas cependant d’observer tout et tout le monde.

Il écoute un peu distraitement les conclusions du médecin qui examine la jeune femme. Elle ne s’est pas loupée, mais au moins, elle est en vie. Ça aurait pu être bien pire … Il laisse échapper un lourd soupire tout en continuant de guetter les alentours. En réalité, il doute de réussir à mettre la main sur le responsable de ce carnage. Il faudrait qu’il soit fou – et vu ce qu’il venait de faire, ce n’était pas exclu – pour se balader au milieu de la foule après ça. Il espère en revanche croiser un visage familier. Il se sent un peu seul au milieu de cette histoire. Il aimerait croiser Aedan, au moins. Ou … quelqu’un d’autre.

Il sursaute presque lorsque la voix d’Oksana vient le sortir de ses pensées. Il se tourne de nouveau vers elle, une ébauche de sourire rassurant au coin des lèvres. « Je suis du genre méfiant. » Il se redresse un peu, s’étire légèrement. Quelle histoire, lui qui était venu à Karanes tout à fait par hasard, il se retrouvait au beau milieu d’un carnage. Destin pourri. « Je vous l’ai dit, on est pas à l’abri de le voir réapparaître. »

Il semble se détendre un peu. Il bouge, vient s’asseoir près de la jeune femme, il étend ses jambes, s’étire, soupire aussi. Il ne va tout de même pas passer le reste de sa journée à courir après ce qui ressemble finalement plus à un fantôme qu’autre chose. Manquerait plus que ça, tiens. C’est pas son boulot, en plus. Non, il a choisi de rester à l’écart de ce genre d’affaires, non ?

Il baisse les yeux sur son épaule. Pose les doigts sur sa chemise humide, poisseuse de sang. Il grimace. « J’ai rien, ne vous en faites pas. » Difficile à croire quand on voit la quantité de sang, non ? Et pourtant, tout va bien, il bouge même son bras sans problème, comme preuve qu’elle n’a pas à s’inquiéter pour ça. « J’ai pas besoin qu’on me soigne, croyez-moi. »

Elle lâche l’affaire plutôt rapidement. Elle est sans doute trop fatiguée, trop ailleurs pour insister et évidemment ça l’arrange, parce qu’il n’a pas envie de batailler durant de longues minutes pour quelque chose d’aussi futile, inutile selon son point de vue à lui. Il soupire, il a finalement lâcher la rue du regard, il s’étire, tandis qu’à côté de lui, elle se met à s’agiter, à gigoter dans tous les sens comme pour trouver une position plus confortable. Pas évident, sur leurs lits de fortune, surtout qu’il prend une partie de la place.

« Arrêtez de bouger comme vous le faites, vous allez finir par vous écrouler. » Ou se faire encore plus mal, ce qui serait fâcheux. « Appuyez sur moi, si vous voulez. Je peux bien vous servir de coussin un moment, j’ai rien de mieux à faire, de toutes façons. »

Il bouge légèrement, de manière à se positionner relativement confortablement. Il étire ses jambes, les allonge, et puis lève le bras pour l’inviter à s’installer tout contre lui. Oh, il sait bien de quoi ça aura l’air de l’extérieur, et il sait aussi, du moins, il a conscience de ne pas connaître cette fille, mais peu importe, ce n’est pas réellement le genre de chose qui peut embarrasser Lucian. Au contraire, il a toujours été du genre tactile, le contact physique n’est pas quelque chose qui lui fait peur, au contraire, c’est généralement quelque chose qu’il a tendance à rechercher.

« Vous avez le droit de vous endormir. » C’est toujours mieux qu’au beau milieu de la rue, non ? Et puis surtout, au moins ici, elle est sous les yeux des médecins qui passent et repassent. Même s’il craint toujours que ce Titan ne réapparaisse à un moment donné – il est têtu – il se dit qu’elle est toujours plus en sécurité ici, plutôt que là où il l’a trouvée. « Par contre, évitez de baver sur ma chemise. » Il laisse échapper un rire léger, il fallait bien qu’il essaie de détendre un peu l’atmosphère, non ?

« Au risque de vous décevoir, ma chère, le sang me dérange bien moins. » Question d’habitude, sans doute. Lucian a toujours été du genre casse-cou, imprudent, il a souvent été blessé, plus ou moins gravement selon les moments, alors, le sang ne le dérange pas le moins du monde, autant le toucher que de le voir d’ailleurs. La bave en revanche … disons que c’est autre chose ?

Il la laisse s’installer contre lui, sans bouger, le temps qu’elle se trouve une position qui lui convient et puis, par réflexe, il vient refermer ses bras sur elle, pour la maintenir. Il sent qu’elle s’endort, elle est épuisée et ce coup qu’elle a prit sur le crâne ne doit pas aider outre mesure. Peu importe, il la laisse s’endormir là, sur lui, il reste même un bon moment après qu’elle ait sombré dans le sommeil. Lorsqu’il juge qu’elle dort assez profondément, il finit par bouger. Il desserre son étreinte et se dégage pour la reposer le plus délicatement possible sur le lit médical. Il sait qu’elle est en sécurité et entre de bonnes mains alors … il s’éloigne, il disparaît. Qui sait, il la reverra peut-être, un jour, au hasard ?