Elle courait. Encore, et toujours. Dieu sait pourtant que Karhlya aurait réellement voulu se reposer, rentrer chez elle pour passer du temps avec sa famille … mais ce n’était pas possible. La mission achevée, elle n’avait eu le temps de passer qu’une nuit à Trost avant de devoir retourner à Karanes parce qu’on avait besoin d’elle. Elle avait enchaîné avec une livraison de chevaux pour les Brigades Spéciales, et donc un aller-retour à cheval, à allure lente, jusque dans les terres de Sina. Elle était rentrée hier, elle était épuisée, mais elle avait quand même trouvé le temps et surtout l’énergie de donner un coup de main à la section de recherche. Heureusement, quand ça concernait son travail, il semblait que Karhlya ne savait clairement pas se plaindre. Elle acceptait, bien sûr, parfois, elle ruminait, parfois, elle s’agaçait, comme pour cette histoire de chevaux ; ça ne la concernait même pas. En dehors ? Rien. On lui donnait des ordres, elle obéissait. Seulement, là, elle avait besoin de repos. Ça se lisait sur son visage, si bien que le dernier ordre qu’elle avait reçu était celui de se reposer, de dormir, de reprendre des forces et franchement : c’était tout ce dont elle avait besoin, pour être honnête.

Le chemin jusqu’à Trost était long. Il s’agissait quand même de faire plusieurs heures de cheval, même en se pressant … du coup, au lieu de rentrer directement chez elle, la jeune femme avait pris la décision d’aller à la taverne. Elle avait besoin d’un verre. Elle ne buvait pas beaucoup, mais parfois, comme beaucoup de soldat, elle ressentait le besoin d’avaler quelque chose de fort pour effacer le goût amer que les pertes du Bataillons laissaient au fond de sa gorge. A chaque fois, c’était la même chose. Elle voyait ces petits jeunes débarquer, fiers, et à chaque fois, au retour, la moitié d’entre eux n’étaient déjà plus là. C’était dur. Ça l’était pour tout le monde, même si certains savaient cacher leurs pensées et leurs sentiments mieux que d’autres.

Lorsqu’elle entra dans la taverne, elle se dirigea aussitôt vers le bar que Faust était en train d’astiquer, pensivement. Elle se posa juste devant lui, histoire de faire savoir qu’elle était là et commanda un verre, une boisson dont le jeune propriétaire de l’endroit avait le secret. Un truc à base de plante qu’il fabriquait lui-même, selon c’est dire. C’était horrible en goût, atrocement fort, et en boire trop c’était s’assurer de se rendre malade et de vomir ses tripes durant des jours mais … c’était tout ce dont elle avait besoin et il lui apporta son verre sans un mot. La jeune femme se tourna finalement vers la salle. Comme souvent, beaucoup de membres de la garnison traînaient par ici. Certains étaient totalement ivre, l’ambiance habituelle, quoi que c’était finalement plutôt calme, par rapport à certains soirs. Les yeux de la rousse se posèrent finalement sur une silhouette familière … aussi, elle attrapa son verre pour se diriger vers cette table, un peu à l’écart. Elle y posa sa boisson, pas encore entamée, avant de s’asseoir face à Sora, lui offrant un sourire un peu pâle, marqué par la fatigue. « On a eu la même idée. » Elle se mit à faire tourner son verre sur l’épaisse table de chêne. « Ça va, toi ? » Elle s’inquiétait, évidemment. Elle aimait bien Sora, elles se ressemblaient toutes les deux, et puis elles s’entendaient bien. C’était une amie. Et Karhlya tenait énormément à ses amis.